Quatre avis sur le TEMPS
par
Quatre avis sur la nature du temps
extraits de "Science et Vie" Janvier 2020
Alain Connes
"La véritable variabilité dans l’Univers n’est pas le passage du temps... mais l’aléa du quantique", gage Alain Connes. Parti du formalisme quantique lui-même, le mathématicien du Collège de France a remarqué qu’il "fournit un outil élaboré pour faire émerger le temps à partir de la connaissance partielle d’un système quantique". Ce serait ainsi l’ignorance des détails du monde quantique, intrinsèque à la théorie, qui imposerait à nos yeux une forme d’ordre, et donc de temps.
Ce temps quantique proviendrait en particulier d’une propriété des observables quantiques : ils ne commutent pas. Autrement dit, mesurer successivement la vitesse et la position d’une particule ne donne pas le même résultat que l’opération inverse (la position puis la vitesse). Or Alain Connes a découvert que cette "non-commutativité" donne naissance ... au temps thermodynamique, via une équation (celle de Kubo-Martin-Schwinger). Si bien que temps quantique et temps thermodynamique sont étroitement reliés.
Carlo Rovelli
"Une théorie fondamentale de la nature peut s’écrire sans utiliser le concept usuel de temps », affirme le physicien Carlo Rovelli, qui travaille à l’unification de la relativité générale et de la mécanique quantique au sein de la gravitation quantique à boucles. Mais il semble pour lui difficile d’en faire totalement le deuil. "D’où vient alors notre expérience du temps ?" s’interroge-t-il. Selon lui, cette perception résulterait d’une ignorance : le temps caractéristique des phénomènes thermiques est une conséquence de notre manque de connaissance des détails microscopiques du monde. Sans compter que notre expérience du temps dépend aussi de la structure de notre cerveau : "Notre mémoire nous conduit sans cesse à anticiper le futur Nous percevons par exemple une mélodie justement parce que nous nous rappelons des notes passées, et que nous anticipons celles à venir. La musique nous montre comment nous vivons le temps", suggère-t-il, en se référant à Saint-Augustin. Ainsi, le temps n’existerait pas, mais on pourrait en expliquer la perception.
Lee Smolin
le temps est le meilleur indice que nous avons de la réalité, c’est la seule chose qui soit réelle !" Pour Lee Smolin, l’un des inventeurs de la théorie de la gravité quantique à boucles, cela implique une profonde révision de la physique, et en particulier de la théorie quantique. C’est à ce prix seulement qu’elle pourra être unifiée à la cosmologie. L’originalité de son approche tient à la place du temps. Pour lui, "le temps est", il existe, il est au cœur même de notre Univers. L’espace, au niveau quantique, n’est plus un concept fondamental, c’est lui, à présent, qui résulte du temps : "Un espace-temps à la géométrie quantique cohérente n’émerge que dans les modèles où le temps est supposé réel", argumente-t-il. Une des conséquences est que les lois de la physique elles-mêmes seraient sujettes au temps, et pourraient évoluer. Pour dérouler sa pensée, Lee Smolin est parti de ce qu’il voit comme une profonde contraction dans la description actuelle : "Si nous croyons qu’une équation mathématique intemporelle capture chaque aspect de l’univers, alors nous croyons que la vérité sur l’Univers se trouve hors de celui-ci." Une conclusion inadmissible pour lui.
Julian Barbour
Il n’y a pas une flèche du temps. Mais deux ! "Une nouvelle géométrie de l’Univers où celui-ci s’étend de part et d’autre d’un point que nous nommons le point de Janus", explique Julian Barbour. De ce point, tel le dieu romain aux visages opposés, s’élancent deux flèches de temps. "L’expansion de l’Univers de part et d’autre de ce point donne l’illusion de ces flèches aux observateurs situés de chaque côté." Dans les deux cas, le temps ne fait qu’émerger du mouvement induit par la gravité et par la complexité croissante qui en résulte au travers de la formation permanente de nouvelles structures. "De part et d’autre de ce point, la croissance de l’ordre indique la direction du temps." Un contre-pied à l’hypothèse du temps thermique selon laquelle, à l’inverse, c’est l’augmentation de l’entropie (désordre) qui donne leur caractère irréversible aux phénomènes physiques observés. Elle offrirait ainsi l’avantage de se passer d’une singularité originelle, nécessaire dans le cas de l’entropie : "Nous avons établi qu’une telle configuration de l’Univers pouvait surgir d’une grande variété de conditions initiales."