Essai de clarification du débat sur le sphénoïde

dimanche 15 janvier 2006
par  Michel GODRON

Cet article fait écho au débat sur les thèses d’Anne Dambricourt-Malassé (ADM) relancées récemment par le documentaire de Thomas Johnson diffusé par Arte
Homo sapiens : une nouvelle histoire de l’homme

Ce débat est trop passionné pour qu’il soit possible de le conduire aujourd’hui à son terme, mais il est sans doute utile d’essayer d’y apporter quelques éléments de clarification. La difficulté principale est que ce débat met en jeu une discussion scientifique, l’interprétation des faits observés, une discussion métaphysique et une discussion théologique.

La discussion scientifique

L’évolution du sphénoïde mise en évidence par ADM ne semble pas discutée par les paléontologues et elle ne contredit pas ce que sais du fonctionnement de l’évolution des espèces végétales (résumé dans le document annexe ci-joint ; un document qui résume la succession des taxons depuis le Précambrien pourrait aussi être annexé). Mais les travaux d’ADM sont l’occasion d’un débat passionné parce qu’ils concernent l’apparition de l’Homme "descendant du Singe" qui avait déjà enflammé les esprits à l’époque de Darwin. Ce qui pose problème est donc l’interprétation de cette évolution.

L’interprétation de l’évolution du sphénoïde

Quelques citations

Il faudra vérifier que je ne déforme pas la pensée d’ADM en citant quelques extraits de ce qu’elle a écrit, ou dit, avant de les commenter (en italiques) :

1) L’évolution, dans ce cas de figure, est nécessairement celle de l’information génétique correspondant à l’amplitude de rotation.
D’accord.

2) On pensait que la cause de cette locomotion était post-natale et, encore récemment, on croyait qu’elle était due au développement fœtal du cerveau. Il faut chercher une cause plus précoce encore, un processus qui participe du développement des organes et du squelette comme de la complexité croissante du cerveau, elle est embryonnaire.
D’accord.

3) Quant à la sélection naturelle, elle est évidente quand on traite d’embryogenèse. Plus de cinquante pour cent des fécondations avortent spontanément chez la femme.
D’accord.

4) Le processus d’hominisation se situe d’abord à l’intérieur, dans l’histoire de notre génome et n’est pas induit - comme dans l’hypothèse de l’adaptation à la savane - par le climat.
D’accord pour le début de la phrase, mais il ne permet pas d’affirmer que ce processus n’est pas induit par le climat et il faudra revenir sur ce point essentiel.

5) Le milieu n’est donc pas à l’origine de cette dynamique interne propre aux tissus embryonnaires, ni à la répétition de cette évolution.
Même remarque que pour le 4).

6) L’embryon du chimpanzé ne passe évidemment pas par un stade de prosimien puis de singe. De nombreux embryologistes citent des cas où l’embryon passe par des stades qui ont été observés chez des "ancêtres" (branchies chez des Vertébrés terrestres, etc.).

7) On constate une réorganisation interne selon des contraintes, ou logiques, internes. Tous ces termes sont couramment utilisés en biologie intégrative, discipline familière des systèmes dynamiques intégrés auto-organisés.
D’accord.

8) La paléontologie est encore trop éloignée de la science de la complexité, des systèmes dynamiques déterministes, de leur modélisation.
Ce n’est pas aimable pour les collègues, alors que Kimura et bien d’autres ont construit des modèles très rigoureux.

Discussion

Le point sur lequel une discussion approfondie mériterait d’être entreprise est de savoir dans quelle mesure les processus internes observés par ADM sont indépendants de l’environnement. Ce que l’on sait des processus à l’œuvre dans l’évolution montrent que les contraintes de l’environnement font partie du système complexe constitué par les génotypes, les phénotypes, les capacités de reproduction des individus et la sélection naturelle.

C’est très clair dans le cas de la micro-évolution, et c’est vrai aussi - quoique moins immédiatement évident - dans le cas de la macro-évolution où la "dynamique interne" est plus apparente. Il serait facile d’en trouver plusieurs exemples dans l’évolution des végétaux (apparition des Cryptogames vasculaires, des Phanérogames, des Angiospermes).

Il me semble qu’une grande partie des critiques (souvent peu argumentées) adressées à ADM viennent de ce qu’elle passe trop rapidement des faits observés à leur interprétation, par exemple dans la citation 4 : "Le processus d’hominisation se situe d’abord à l’intérieur, dans l’histoire de notre génome et n’est pas induit - comme dans l’hypothèse de l’adaptation à la savane - par le climat."

Quand ADM renvoie la balle dans le camp de ses contradicteurs en leur demandant de prouver que le climat aurait causé l’évolution du sphénoïde, elle oublie que les relations de cause à effet sont si complexes qu’elles constituent un système dynamique.

De son côté, T. Johnson écrit : "l’adaptation au changement climatique ne serait pas le seul facteur du redressement de l’homme. Il part donc sur de nouvelles pistes et découvre qu’il existe aussi une Inside story, une histoire interne qui trouve son origine au cœur de nos cellules. Paléontologues, biologistes, médecins et généticiens tentent de décrire et de comprendre le phénomène et content une nouvelle histoire de l’homme..."

La première phrase de cette citation est parfaitement acceptable, mais ensuite T. Johnson oublie que l’Inside story n’est pas une découverte puisqu’elle existe dans chacun des phénomènes observés par les évolutionnistes, et qu’elle est même souvent décrite et analysée par les paléontologues avant même qu’ils n’essaient d’expliquer le déroulement des phénomènes observés.

Une discussion métaphysique

ADM pense que "L’origine du déclenchement de cette évolution interne est à mon sens le hasard, le second principe de la thermodynamique(4), c’est-à-dire le désordre spontané qui menace tout état d’équilibre. Face à l’entropie, les systèmes ont des mécanismes de réparation, acquis par "apprentissage " (autopoïèse)."

Là, une discussion scientifique ne suffit plus pour voir clair, pour deux raisons. La première est qu’Einstein disait que le second principe de la thermodynamique est le plus métaphysique des principes de la physique." La seconde est que la définition du hasard est un problème philosophique qui a commencé chez Aristote (le passant qui reçoit une tuile sur la tête en passant dans la rue). Le hasard du calcul des probabilités ou de la thermodynamique ou encore celui des sauts quantiques demandent à être définis soigneusement.

De même les problèmes liés à la téléonomie, à la téléologie et à la finalité sont du domaine philosophique et il devraient être discuté tranquillement. (Faut-il amorcer ici cette discussion ?)

Une discussion théologique

L’un des reproches adressés à ADM est de prendre en compte des présuppposés religieux. Elle dit bien : " Dans ce contexte, toute logique interne est impensable, faute de quoi elle connote immédiatement le vitalisme, la recherche d’un plan divin, d’un programme intelligent, etc."

On arrive ici à l’un des points les plus délicats de la controverse actuelle où les acteurs se laissent souvent aveugler par la passion. Les articles de F. Euvé et de P. Clavier dans le numéro hors-série du Nouvel Observateur (décembre 2005/janvier 2006) montrent qu’il est possible de raison garder et il serait utile de les lire avant d’entamer la discussion théologique qui pourrait apporter un peu de clarté.


Documents joints

Annexe

Brèves

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L’ECONOMIE DE L’UNIVERS : Nouvelle édition numérique complète de l’Essai édité par Xavier Sallantin (...)