Défense de la pensée - Article du Monde

vendredi 1er mars 1974
par  Xavier SALLANTIN

L’ESPÈCE humaine, si vulnérable, doit sa survie et son essor à la pensée. Quelles que soient les menaces au cours des âges son génie inventif a trouvé la parade. Or, au­jourd’hui, la pensée est accusée. Par elle en effet, le « sapiens » a pu croître en puissance et en nombre au point que l’homme n’est plus trop faible face à une nature trop riche, il est désormais trop fort face à une nature trop chiche.

Après l’explosion euphorisante de l’économie, c’est l’implosion angois­sante de l’écologie. L’embryon qui se développait dans le sein de sa mère nature s’y découvre soudain de plus en plus comprimé. Que faire pour re­tarder le terme ?

Et s’il s’agissait de naître au lieu de s’installer ?

La plupart n’aspirent qu’a la sécu­rité du nid et non au salut : la sécurité, problème technique pour l’alpiniste ; le salut : sortie par le haut. L’Occident s’encorde pour bivouaquer : pas d’as­cension ni d’émergence. Alors, quoi d’étonnant si la défense du bivouac ne mobilise plus ?

La pensée ne s’installe jamais tant que tout n’est pas clair. Pour la tran­quillité des gens installés, il faudrait enchaîner la folle du logis. On sonde les Français pour savoir s’ils sont inquiets de la démission de la pensée, de la désaffection vis-à-vis de la re­cherche, de la montée de l’irrationnel. Ils ne le sont que peu. Si l’outil qui a permis hier de parer les menaces est rejeté, comment les parera-t-on de­main ?
Réponse : rigueur, discipline, unani­mité. Ainsi survivent les termites. Le termite non conformiste devra être combattu. Mais par qui ? Si la sécurité est l’absolu, au nom de quoi les poli­ciers prendront-ils le risque du com­bat ?

La sécurité n’est pas l’absolu. La même pulsion du risque stimule la lutte des stagnants pour maintenir et celle des mutants pour transformer. Nous en profitons tout en censurant le risque, la mutation, la mort. Hypocritement, la plupart comptent sur le militaire pour neutraliser le militant.

LES fautes de la pensée contre la justice ou contre la justesse sont le seul ferment révolutionnaire. Il n’est de crise que de libération de la vérité captive de l’injuste. L’humanité en gésine avance de crise en crise vers le dévoilement d’une « logique du juste » capable d’assurer respect et épanouissement des personnes et des groupes, comme le concert des instruments d’un orchestre. Utopie ? Pourquoi ? Ce programme est résolu par la nature en chaque être vivant dont la santé est symphonie de fonctions organiques diversifiées. Pourquoi ne découvririons-nous pas avec le secret de la santé.biologique celui de la santé sociale ? Pourquoi parier sur un avortement cosmique ?

Il suffirait que la pensée trouve la clé de son propre fonctionnement pour que naisse une nouvelle intelligibilité, un Homme Nouveau, enfin désaliéné parce qu’il aurait élucidé le système même de la liberté dont il est le fruit.

Qu’à contre-courant de cette ambition universaliste nous ne visions qu’à la défense des particularismes, l’injustice croissante aggravera la crise. L’égoïsme et la prudence précipiteront, de Munich en Munich, la désagrégation, tandis que couvera, comme au Moyen Age, le feu d’une aube nouvelle.

Face aux spasmes d’agonie d’une pensée stérile qui n’espère aucun terme, il est temps d’organiser la résistance de la pensée créatrice dans des réduits d’où sortira le germe d’un « homo co-nascens » auquel le « sapiens » avorton servira d’humus.

* Directeur des recherches à la Fonda­tion pour les études de défense nationale.

P.J. Document au format pdf.

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Défense de la pensée
Article paru dans le Monde Diplomatique en mars 1974 - 1 page

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